La pandémie du coronavirus et les mesures d’urgence adoptées par les gouvernements au cours des dernières semaines suscitent beaucoup d’inquiétude et d’incertitude chez les gens d’affaires et au sein des entreprises québécoises. En présence d’une telle crise mondiale, un grand nombre de PME ont dû opter pour la cessation temporaire de leurs activités ou la mise à pied de leurs employés. Plus récemment, les activités commerciales non essentielles ont été interdites par le gouvernement afin de limiter la propagation du virus.
Dans ce contexte d’état d’urgence sanitaire, vous avez été plusieurs à nous faire part de vos questionnements en lien avec le respect de vos obligations contractuelles. En effet, plusieurs entrepreneurs s’interrogent à savoir s’ils sont tenus de respecter intégralement les ententes conclues avec leurs fournisseurs, clients et autres partenaires commerciaux, vu les circonstances exceptionnelles qui surviennent, qu’il s’agisse d’une offre d’achat, d’un bail commercial, d’une entente de services ou autre.
La réponse à ces interrogations se trouve principalement dans le concept de la force majeure (également connu sous les expressions « act of god » et « cas fortuit »), en vertu duquel une entreprise pourrait se dégager de certaines obligations contractuelles en présence d’un tel cas de force majeure. Compte tenu de ce qui précède, nous avons jugé utile d’aborder plus amplement cette notion afin de vous éclairer sur le sort des engagements de votre entreprise à l’ère du coronavirus.
NOTION DE FORCE MAJEURE
En présence d’un événement qualifié de force majeure, les parties sont normalement libérées de leurs obligations, ce qui veut dire qu’elles ne peuvent être tenues responsables pour un défaut d’exécution contractuelle[1]. Selon l’article 1470 du Code civil du Québec (le « CCQ »), la force majeure est définie comme un événement imprévisible et irrésistible.
Ainsi, pour être qualifiée de force majeure, la pandémie du coronavirus ne devait pas être prévisible pour votre entreprise lorsque cette dernière a conclu le contrat pour lequel elle veut invoquer la force majeure. Pour un contrat conclut postérieurement au début de la crise du coronavirus, il pourrait être beaucoup plus difficile de prétendre que la crise était imprévisible et qu’elle empêche désormais votre entreprise d’honorer quel qu’engagement contractuel.
Par surcroît, l’événement doit aussi être inévitable, c’est-à-dire qu’une personne raisonnable ne pouvait empêcher la réalisation dudit événement. Enfin, l’événement doit être externe à la volonté de celui qui s’est engagé à exécuter une obligation. En d’autres termes, il ne doit pas s’agir d’un événement personnel à l’entreprise et celui-ci doit être indépendant de sa volonté ou de celle de son représentant.
La jurisprudence et les différents auteurs nous enseignent également que l’événement doit emporter une impossibilité absolue de s’exécuter pour l’entreprise.
Il n’est donc pas suffisant que les obligations de votre entreprise soient rendues plus difficiles ou onéreuses à exécuter pour que la propagation du coronavirus donne ouverture à l’inexécution d’une obligation.
À titre d’exemples, dans certaines circonstances précises, ont déjà été jugés des cas de force majeure le virus H1N1, la crise d’Oka de 1990 et la crise du verglas de 1998[2]. Certains auteurs énoncent aussi que la force majeure pourrait être le résultat d’un état d’urgence déclaré par le gouvernement, comme c’est le cas actuellement avec la pandémie du coronavirus.
CLAUSES CONTRACTUELLES RELATIVES À LA FORCE MAJEURE
Le meilleur conseil que nous pouvons vous donner lorsque vous devez déterminer si la présente crise vous libère de vos obligations face à l’un de vos partenaires d’affaires est d’abord d’analyser toutes les dispositions du contrat intervenu avec votre cocontractant. Une telle vérification s’impose puisque la notion de force majeure n’étant pas d’ordre public, il est donc possible d’y déroger contractuellement.
Ainsi, certaines clauses contractuelles modifient la définition classique de la force majeure, alors que d’autres énumèrent précisément ce qui est considéré ou n’est pas considéré un cas de force majeure pour les fins d’un contrat visé. Dans des cas extrêmes, certaines clauses vont même jusqu’à exclure la défense de cas de force majeure pour éviter que les parties soient libérées de leurs obligations en pareilles circonstances.
Ces clauses de force majeure sont généralement valides, à moins qu’elles soient abusives Dans une telle éventualité, la clause de force majeure pourrait être annulée ou l’obligation qui en découle, réduite, selon le cas, par un tribunal.
Bref, il est impératif d’analyser minutieusement les dispositions d’un contrat afin de déterminer si la pandémie actuelle peut avoir un impact sur les obligations contractuelles qu’il contient et, par conséquent, sur votre entreprise. En l’absence de clauses de force majeure, la notion générale décrite à la section précédente trouvera alors application.
LA PANDÉMIE DU CORONAVIRUS PEUT-ELLE ÊTRE QUALIFIÉE DE FORCE MAJEURE ?
Il n’est pas chose facile de déterminer de façon définitive si la présente pandémie représente un cas de force majeure puisque la propagation du coronavirus et les mesures des autorités publiques sont en constante évolution. Aussi, plusieurs facteurs, dont certains mentionnés ci-devant, pourront faire varier la réponse dans un cas précis.
Cela étant, nous sommes d’avis que les entreprises dont les activités commerciales ont été interdites par le gouvernement pourraient être exemptées de s’acquitter de certaines de leurs obligations pour cause de force majeure. En effet, les entreprises qui ont été forcées de cesser leurs activités se retrouvent, de façon générale, devant une impossibilité absolue de générer des revenus et d’honorer certains de leurs engagements contractuels souscrits préalablement à cette crise sans précédent. À première vue, les critères d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité paraissent être remplis pour les entreprises visées par ces interdictions gouvernementales.
Cependant, nous vous rappelons que votre entreprise ne pourrait pas simplement invoquer la pandémie actuelle pour se libérer d’une obligation contractuelle devenue plus difficile ou onéreuse à rencontrer. Chaque entreprise a l’obligation de mettre en œuvre tous les moyens possibles afin d’acquitter ses obligations. Par conséquent, votre entreprise doit réellement être dans une impossibilité absolue de s’exécuter pour être en présence d’une force majeure.
Enfin, même si les tribunaux en venaient à la conclusion que le coronavirus constitue un cas de force majeure, cela n’entraînerait pas systématiquement la libération totale des engagements contractuels de votre entreprise. Effectivement, il est important de distinguer l’impossibilité permanente de l’impossibilité temporaire de s’exécuter. Dans certains cas, on devrait plutôt parler d’une impossibilité temporaire qui n’aurait pour effet que de suspendre l’exécution des obligations des parties jusqu’à la fin de l’état d’urgence ou de la pandémie, selon le cas.
La règle d’or en la matière demeure l’analyse des circonstances particulières au cas par cas.
DÉVELOPPEMENTS À VENIR
Les tribunaux québécois devront tôt ou tard se prononcer sur la question et déterminer si la propagation actuelle du coronavirus au Québec constitue un cas de force majeure. Nous suivrons de près l’évolution de la situation et vous tiendrons informés des développements ultérieurs à ce sujet.
Dans l’attente de développements sur la question, nous vous recommandons de vérifier si les polices d’assurance de votre entreprise couvrent les pertes de revenus causées par un sinistre de la sorte. Cela pourrait vous éviter bien des problèmes, le cas échéant.
Advenant que certaines de vos questions subsistent à la suite de la lecture de cet article, nous vous invitons à contacter l’un des membres de l’équipe d’EXACTUS qui saura vous conseiller quant aux droits et obligations de votre entreprise en cette période de crise.
EXACTUS met ce texte à votre disposition pour des fins informatives uniquement et son contenu est de nature générale; il ne s’agit pas de conseils ni d’avis juridiques. Le texte ne tient pas compte des circonstances particulières qui pourraient s’appliquer à votre entreprise ou à sa situation. Bien que nous fassions tous les efforts raisonnables pour nous assurer de l’exactitude des informations communiquées, rien ne garantit qu’elles seront exactes à la date à laquelle vous les consulterez. Vous devriez consulter un conseiller juridique avant d’entreprendre quelque démarche à cet égard. EXACTUS ne peut être tenue responsable du contenu de ce texte ou de l’utilisation que vous en ferez. Enfin, toute utilisation ou reproduction, en tout ou en partie, du présent texte ou de son contenu est interdite, à moins d’avoir obtenu le consentement préalable écrit d’EXACTUS.
[1] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 1470 et 1693.
[2] Voir notamment Lebrun c. Voyages à rabais (9129-2367 Québec inc.), 2010 QCCQ 1877, Béland c. Voyage Charterama Trois-Rivières ltée, 2010 QCCQ 2842, Sotramex inc. c. Québec (Procureur général), J.E. 96-2258 (C.S.) et Pierrevillage inc. c. Construction 649 inc., [1999] RJQ 1369 (C.S.).